Mes parents dansaient tout le temps, partout. Avec leurs amis, la nuit, tous les deux le matin et l’après-midi. Parfois, je dansais avec eux. Ils dansaient avec des façons vraiment incroyables, ils bousculaient tout sur leur passage, mon père lâchait ma mère dans l’atmosphère, la rattrapait par les ongles après une pirouette, parfois deux, même trois.

Il la balançait sous ses jambes, la faisait voler autour de lui comme une girouette et quand il la lâchait complètement sans faire exprès, Maman se retrouvait les fesses par terre et sa robe autour, comme une tasse sur une soucoupe.

Sous le regard émerveillé de leur fils, les parents s’aiment à la folie, et vivent une vie extravagante où tout est permis, sauf l’ennui, la morosité, le normal, et l’esprit de sérieux.

Celle qui est au centre de tout, c’est la mère, joyeuse, excentrique, amoureuse et un peu – ou totalement – cinglée, désireuse de vivre dans un monde de féérie. C’est pour lui plaire et lui complaire que le père et le fils s’adaptent à son mode de vie fantasque.

Toujours quand ils dansaient, ils se préparaient des cocktails fous, avec des olives, des ombrelles, des cuillers, et des collections de bouteilles. Sur la commode du salon, devant un immense cliché noir et blanc de Maman sautant dans une piscine en tenue de soirée, se trouvait un beau et vieux tourne-disque sur lequel passait toujours le même vinyle de Nina Simone, et la même chanson : « Mister Bojangles ». (…) Cette musique était vraiment folle, elle était triste et gaie en même temps, et elle mettait ma mère dans le même état. Elle durait longtemps, mais s’arrêtait toujours trop vite, et ma mère s’écriait : « Remettons Bojangles ! » en tapant vivement dans ses mains.

Mais la gaité de la mère cache une face sombre, que le lecteur découvre au milieu du livre, lorsque la folie douce cède la place à la folie dure, et que la vie enchantée de la famille vire progressivement au cauchemard.

Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse :

« Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver. »

Les mensonges de la mère, son excentricité, prennent peu à peu des proportions inquiétantes, et ni le père ni le fils ne peuvent plus se dissimuler la réalité…

« Il n’y avait pas que la tête de Maman qui déménageait, notre appartement aussi devait suivre le même traitement. »

La force de ce texte réside à coup sûr dans le point de vue adopté : le livre est écrit en adoptant le vocabulaire, mais aussi la naïveté de l’enfant qui est censé en être le narrateur. De là, un humour rafraichissant, un optimisme qui nuance la tristesse du propos et en atténue la gravité…

En attendant Bojangles est un premier roman drôle et triste, léger et bouleversant, qui est devenu un véritable phénomène d’édition. Comme la plupart des premiers romans, celui d’Olivier Bourdeaut avait été refusé partout. C’est la petite maison d’édition de province Finitudes qui, en définitive, a accepté de le publier… et a touché ainsi, avec l’écrivain, un vrai jackpot. 520 000 exemplaires vendus, six prix littéraires, des traductions en 30 langues…

Une belle histoire d’amour avec le public, donc, qui vient couronner l’histoire d’amour filial retracée par le roman.

Marianne Jaeglé

Marianne Jaeglé a écrit aussi pour exlibris20:
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