Celle qui s’enfuyait est le sixième roman de Philippe Lafitte.

Il s’ouvre sur une séquence de polar : Phyllis, le personnage principal, une romancière Afro-Américaine de 60 ans, se fait tirer dessus alors qu’elle court dans la lande, quelque part dans un lieu isolé de la campagne française. Le tueur la rate, mais atteint son chien. Phyllis comprend alors que le passé la rattrape : « ça allait recommencer ».

Ce point de départ est le début d’une traque, mais aussi l’occasion d’une remontée dans le temps, à la fois dans l’histoire de Phyllis, originaire de Washington, mais aussi dans l’histoire de Danny DiCorso, un homme issu d’une famille d’immigrés gênois, celui qui la poursuit, venu des Etats-Unis pour cela.

A travers eux, c’est l’histoire des années 70, faite de conflits raciaux et sociaux, de groupuscules révolutionnaires et de lutte armée, qui s’invite dans la paisible campagne française des années 2000. Phyllis a un passé qui ne se laisse pas oublier, et que le lecteur découvre au fil du roman. Persuadée que la justice américaine la recherche encore après toutes ces années, Phyllis méconnaît la nature exacte du danger qui la guette et qui se dévoile peu à peu, dans un suspens très maîtrisé.

Vendetta et ambiance de roman noir, donc, doublée d’une réflexion sur l’écriture : Phyllis est écrivain, et la relation qu’elle entretient à son éditeur fournit l’occasion pour l’auteur d’appeler à un renouvellement des genres.

« Faites-moi un roman métis » tonnait Migennes quand il rencontrait ses auteurs au siège de la maison d’édition ou dans un café familier. « Hybridez-vous, bon Dieu ! Mélangez les genres, même ceux prétendus mauvais, ça ne veut rien dire, convenons-en une fois pour toutes ! »

Situé dans le Sud de la France, mais avec l’histoire des Etats-Unis en toile de fond ; se déroulant de nos jours, mais hanté par les combats des années 70 ; mêlant ingrédients de roman noir et prose impeccable, le nouveau roman de Philippe Lafitte, se propose lui-même comme un hybride, peut-être ce roman métis que le personnage de Migennes appelle de ses voeux.

Le personnage central est à ce titre exemplaire : femme noire américaine écrivant en français écrivain  fuyant, au sens propre, mais aussi dans l’écriture, un passé poisseux : Phyllis incarne ce mélange des genres. Les écrivains sont-ils des criminels ? Le passé de Phyllis le révèle petit à petit au lecteur, dans un mouvement simultané de remontée vers le temps des origines et de savant crescendo.

Mais Celle qui s’enfuyait propose aussi et peut-être avant tout, une réflexion sur l’écriture ; ce qu’elle doit devenir (un art qui échappe aux conventions du genre) et l’échappatoire qu’elle offre : « Quoi qu’il arrive, elle pourrait toujours fuir dans l’imaginaire, le seul endroit où elle ne serait pas poursuivie par l’hostilité du monde. Où au contraire, elle pourrait en rendre compte à sa façon. »

Le sixième roman de Philippe Lafitte est une impeccable démonstration par l’exemple.

Marianne Jaeglé

 

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