«“Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny…” 
Quand il fit la promesse à ce M. Piekielny, son voisin, qui ressemblait à “une souris triste”, Roman Kacew était enfant. Devenu adulte, résistant, diplomate, écrivain sous le nom de Romain Gary, il s’en est toujours acquitté : “Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme”, raconte-t-il dans La promesse de l’aube, son autobiographie romancée. 
Un jour de mai, des hasards m’ont jeté devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka. J’ai décidé, ce jour-là, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny

Roman de la rentrée littéraire 2017, Un certain monsieur M. Piekielny, de François-Henri Désérable démarre avec la découverte fortuite du lieu où Roman Kacew, alias Romain Gary, alias Emile Ajar, vécut son enfance : dans un immeuble de Vilno, Lituanie.

Arrivé là par hasard, à l’occasion d’un voyage vers la patinoire de Minsk, François-Henri Désérable tombe sur la plaque commémorative qui mentionne en lituanien et en français le fait que « l’écrivain et diplomate français vécut là, de 1917 à 1923 », et qu’il évoque les années passées en ce lieu dans son livre, la Promesse de l’aube.

En 1923, Roman Kacew et sa mère quittent la Lituanie pour Nice. Quelques vingt années plus tard, la seconde guerre mondiale fait que les Juifs de Vilno sont en grande majorité déportés et tués. Parmi eux, le père de Roman Kacew et monsieur Piekielny.

Dans La promesse de l’aube, Romain Gary, devenu, comme sa mère l’avait annoncé, écrivain, prix Goncourt, compagnon de la Libération, ambassadeur de France, etc… raconte avoir en effet tenu sa promesse et annoncé à la Reine d’Angleterre, au président Kennedy et à d’autres encore que « au numéro 16 de la rue Grande-Pohulanka habitait un certain monsieur Piekielny ».

Or, dans les registres de la ville, si Désérable retrouve bien trace de Roman Kacew et de sa mère Mina, photo à l’appui, il ne trouve pas de mention de Piekielny. Partant de là, l’écrivain mène l’enquête. Romain Gary, qui s’inventa un père acteur célèbre, qui se réinventa en Emile Ajar et obtint ainsi une deuxième fois le prix Goncourt (ce qui était à priori impossible) aurait-il inventé l’existence de ce monsieur Piekielny ?  C’est à un travail de déconstruction et d’examen que se livre Désérable cherchant dans la réalité les traces tangibles, vérifiables, de ce que l’œuvre affirme.

Pourquoi ne trouve-t-on pas trace de ce Piekielny ? Gary aurait-il inventé une histoire semblable ? Ne l’aurait-il pas trouvée ailleurs, chez un autre écrivain dont il se serait contenté de recycler le texte ?  Jusqu’où Gary a-t-il poussé le goût de la mystification ?

A partir de ce point de départ ténu, F-H Désérable, interroge la figure fascinante de Romain Gary et passe au détecteur de mensonge La promesse de l’aube et la vie de son auteur. Ce faisant, par-delà l’aspect parfois anecdotique de sa recherche, il pose une question semble-t-il fondamentale et qui ne peut avoir de réponse définitive.  Qu’est-ce que la littérature ? Au croisement de quels faits et de quels rêves prend-elle sa forme ? Que signifie se construire une identité d’écrivain ? Gary et Piekielny forment le prétexte à interroger ce mystère qui recule à mesure qu’on s’en approche : la transmutation du réel en œuvre d’art.

Marianne Jaeglé