Apprendre à lire le premier roman de Sébastien Ministru aborde la question de la relation père-fils directement et sans ambiguïté. Le texte est percutant, vivant et nous plonge sans détour dans les sentiments les plus profonds d’Antoine. Il s’agit d’un roman sur la compréhension et l’évolution d’une relation entre un père de quatre-vingts ans et son fils de soixante ans qui, dès les premières pages, montre de la rancœur et du détachement envers son père, au point d’avoir peur de se regarder dans le miroir et d’y voir leur ressemblance

« Je ne suis pas beau mais je ne suis pas laid. La seule fois où je me suis vraiment effrayé en me regardant dans le miroir c’est le jour où, jouant avec ma main pour cacher ma bouche, et fixant mon regard, j’ai cru apercevoir mon père… ».

Une ressemblance physique, mais surtout dans le mode de vie: tous deux privés de l’affection de leur père, détachés et imperturbables, ils préfèrent se réfugier dans des relations éphémères avec des prostituées plutôt que de se donner totalement à la vie conjugale. Cette relation, vu l’âge et la personnalité des personnages, pourrait sembler désespérée mais, au contraire, elle revient grâce au désir du père d’apprendre à lire, avec une succession d’émotions contrastées d’Antoine: de la compréhension et la justification du caractère brusque du père, aux moments d’intolérance, de curiosité sur le passé, de tendresse

« …l’idée d’apprendre à mon père à lire et à écrire constitue à mes yeux un lieu impraticable et une tâche insurmontable. Après avoir developpé la faculté de le supporter et, maintenant, celle de lui rendre la vie plus facile en le visitant plusieurs fois par semaine, envisager de se mettre à table pour lui enseigner l’écriture et la lecture comme on le fait avec un enfant malade, obligé de rester à la maison, me semble être la chose la plus ridicule au monde mais aussi l’exploit le moins enviable à réaliser… » 

« …j’ai sous-estimé la satisfaction qu’il éprouvait d’avoir ou apprendre les rudiments de la lecture et de l’écriture… Son écriture, malhabile, curieusement encombrée de courbes et d’arrondis, ne reflétait pas l’homme, mince, tendu et anguleux, que je connaissais… »

Le roman commence par un désir de détachement total du père, pour finir avec la tendre scène de sa mort : serein, pendant son sommeil, en Sardaigne, sa terre natale et main dans la main avec son fils

«… Mon père a eu la chance de connaître une belle mort….Mon pére est mort au plus profond de son sommeil dans la demeure qui l’a vu naître, sa main glissée dans la mienne… ».

Un travail intérieur qui nous fait participer sans éprouver d’angoisse et Ministru, à la fin du livre, parvient à nous faire décocher un sourire.

Alessandra Santoro

Sébastien Ministru, né le 19 février 1961 à Mons, est un journaliste littéraire et un chroniqueur radio belge.  Apprendre à lire est son premier roman.

 

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